Édito : Hydrogène et énergies renouvelables : la synergie énergétique de l’avenir
Alors que le GIEC vient de rendre son nouveau rapport sur
les mesures à prendre pour atténuer les effets du réchauffement
climatique d’ici 2050 (Voir notre article complet dans la rubrique
« Environnement »), il est intéressant de faire le point sur un vecteur
énergétique d’avenir : l’hydrogène.
L’hydrogène, contrairement au pétrole ou au gaz, n’existe
pas dans la nature à l’état natif. Il ne peut être produit à partir de
trois principales ressources : les hydrocarbures, la biomasse et l’eau.
Il serait évidemment peu cohérent et peu bénéfique pour l’environnement
de continuer dans le futur à utiliser principalement des combustibles
fossiles pour produire de l’hydrogène.
Lorsqu’on évoque l’hydrogène comme source d’énergie, on se
focalise le plus souvent sur la fameuse pile à combustible qui permet,
après production d’hydrogène "embarquée" à l’aide d’éthanol, de fournir
à nos véhicules une énergie propre dont le seul résidu est de la vapeur
d’eau. Mais la généralisation de ces PAC se heurte à des défis
technologiques considérables et suppose de réduire au moins d’un
facteur 20 le coût de fabrication et d’utilisation du moteur à
hydrogène. Selon un rapport de l’AIE, dans l’hypothèse la plus
favorable, les véhicules mus par une pile à combustible à l’hydrogène
pourraient être commercialisés à partir de 2025 et représenteraient 30
% du parc automobile en 2050, soit 700 millions de véhicules. La
consommation mondiale de pétrole en serait ainsi réduite de 13 %. Avec
l’apport d’autres technologies nouvelles, un tel développement du parc
mondial de ce type de véhicule permettrait de diminuer de moitié d’ici
2050 les émissions de gaz carbonique, principal fautif du réchauffement
de la planète.
Mais l’utilisation de l’hydrogène comme source et vecteur
d’énergie ne se limite pas à nos voitures et demain l’hydrogène
pourrait devenir le maillon manquant indispensable pour assurer le
stockage de l’énergie produite grâce aux énergies renouvelables.
Hélion, la filiale d’Areva basée à Aix-en-Provence, spécialisée dans
les solutions énergétiques à base d’hydrogène et de piles à combustible
vient de livrer son premier groupe de secours électrique au nouveau
siège du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Saclay en Essonne.
Il s’agit là du premier prototype de pile à combustible d’une puissance
de 30 kilowatts pour usage statique. Cet appareil a pour vocation de
délivrer une puissance capable de prendre le relais du réseau en cas de
coupure, pendant au moins huit heures. Il a pour caractéristique d’être
totalement silencieux et il ne rejette que de l’eau. Du point de vue
technique, ce générateur utilise de l’hydrogène et de l’oxygène purs,
qui lorsqu’ils se combinent pour produire de l’eau, libèrent une
énergie thermique et électrique.
A l’avenir, les ingénieurs d’Hélion imaginent un couplage
de leur technologie avec un réseau de production solaire ou éolien pour
stocker et redistribuer à la demande l’énergie non consommée. Ainsi,
Patrick Bouchard, le président d’Hélion, souligne que "la production
de courant issue des énergies renouvelables pose un problème de
disponibilité aux exploitants en raison de l’intermittence des sources.
Notre solution consiste à transformer le surplus d’énergie en gaz qui
peuvent être stockés pour alimenter une pile à combustible quand cela
est nécessaire, à la tombée du jour, quand le vent cesse ou pour
stabiliser le réseau".
Cette synergie entre l’hydrogène et les énergies
renouvelables vient de trouver une remarquable illustration concrète en
Corse. Le pôle de compétitivité PACA-Corse, dédié aux énergies non
génératrices de gaz à effet de serre, a lancé il y a quelques jours à
Ajaccio un projet de plate-forme technologique destinée à devenir une
"première mondiale" combinant énergie solaire et pile à hydrogène pour
fabriquer de l’électricité à grande échelle. La plate-forme
technologique solaire de Vignola (Corse-du-Sud) doit voir le jour par
étapes entre 2007 et 2013, en bordure de mer près d’Ajaccio.
L’investissement total devrait dépasser 32 millions d’euros répartis
entre partenaires publics et privés. A terme, la plate-forme de Vignola
prévoit de produire 3,5 MW, selon le groupe corse Raffalli, principal
partenaire du projet. Rappelons que l’île tire près de 25 % de sa
consommation énergétique des énergies renouvelables (essentiellement
l’hydraulique et l’éolien), contre une moyenne nationale de 11 %, et la
CTC a fixé pour objectif de dépasser les 30 % à l’horizon 2013-2015.
En Espagne, à Sotavento, une expérimentation de production
de l’hydrogène vise à obtenir de l’hydrogène à partir de l’eau en
utilisant l’énergie éolienne. Cette expérimentation doit valider la
possibilité d’emmagasiner l’énergie éolienne en la convertissant en
hydrogène stocké dans des réservoirs. Pour obtenir l’hydrogène,
l’énergie générée par les aérogénérateurs sera conduite jusqu’à un
électrolyseur. Cet appareil décompose l’eau à l’aide d’un courant
électrique en dihydrogène et en oxygène. L’oxygène sera relâché dans
l’atmosphère et l’hydrogène sera conservé et utilisé pour obtenir de
l’électricité réinjectée ensuite dans les turbines éoliennes. Si les
tests sont concluants, les parcs éoliens pourraient alors absorber les
surplus d’énergie en cas de forte production et produire de
l’électricité malgré l’absence de vent.
Outre-Manche, la compagnie Wind Hydrogen Ltd, basée à
Anglesey au nord de Pays de Galles, développe une technologie intégrant
éolien et hydrogène pour la production d’électricité et le transport.
Le principe de cette technologie est d’utiliser le surplus d’énergie
éolienne pour produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Cet
hydrogène stocké peut être soit utilisé pour produire de l’électricité
en cas de vents faibles (piles à combustible ou moteur à combustion
interne) ou être revendu pour le secteur du transport. D’après Declan
Pritchard, le directeur de développement de Wind Hydrogen, "L’énergie
éolienne couplée avec la production hydrogène permet théoriquement la
pénétration du 100 % renouvelable dans le marché de l’électricité". La
compagnie travaille sur différents sites au Royaume-Uni, en particulier
en Ecosse, et en Australie. A Kilbirnie, à l’ouest de l’Ecosse, la
compagnie travaille sur un projet de 375 MW. Dans ce projet, 10 à 15 %
de l’électricité produite par les éoliennes seraient dédiés à la
production d’hydrogène.
Le Canada a lancé, pour sa part, en 2005 le Projet de
village à centrale éolienne de production d’hydrogène dans
l’Île-du-Prince-Édouard. Cette contribution du programme des adhérents
pionniers h2 (APh2) fait partie d’un projet de 10,3 millions exécuté
avec l’Hydrogenics Corporation et la Prince Edward Island Energy
Corporation, qui vise à procurer des solutions énergétiques et des
possibilités de croissance économique aux collectivités locales.
Construites dans la pointe occidentale de l’Île-du-Prince-Édouard,
entre Seacow Pond et North Cape, les installations du projet
utiliseront l’énergie éolienne comme principale source d’énergie et
produiront de l’hydrogène afin de créer de l’électricité primaire et de
réserve pour combler les besoins des industries, des fermes et des
foyers, ainsi que de l’hydrogène combustible pour les moyens de
transport.
La première étape du projet porte sur l’installation d’une
station de production d’hydrogène, d’un lieu de stockage de l’hydrogène
et d’un système de contrôle intégré à énergie éolienne-hydrogène et à
énergie éolienne-diesel qui alimentera en électricité un certain nombre
de résidences et d’immeubles de bureaux de North Cape. L’étape suivante
devrait comporter l’expansion du village à énergie éolienne et à
hydrogène pour alimenter une exploitation agricole et des moyens de
transport à hydrogène tels que des bus-navettes et des véhicules
industriels à pile à combustible.
Mais la production propre d’hydrogène ne se limite pas à
l’utilisation des énergies éoliennes ou solaires. De récentes
recherches ouvrent en effet la perspective d’une production
industrielle de l’hydrogène à partir d’éthanol, de sucre ou de déchets
végétaux. Le Professeur Lanny Schmidt et son équipe de l’université du
Minnesota ont ainsi mis au point un procédé permettant de produire de
l’hydrogène à partir d’huile ou de sucre. À terme, l’objectif est
d’étendre les matières premières à tout un éventail de résidus de
cultures.
Cette production "verte" d’hydrogène à partir de
ressources renouvelables pourrait avoir un impact considérable tant sur
le plan économique qu’écologique en apportant une solution élégante et
rentable à la production et au stockage. L’éthanol peut en effet être
transformé en H2 juste avant de passer dans la pile à combustible grâce
à de petites installations domestiques. En outre, l’éthanol dégage
trois fois plus d’énergie en étant utilisé comme source d’hydrogène que
tel qu’il est utilisé actuellement dans les moteurs.
Il y a quelques mois, d’autres chercheurs de l’Université
de Birmingham, en Grande-Bretagne, ont par ailleurs montré qu’une
bactérie spécifique produit de l’hydrogène lorsqu’elle se nourrit de
déchets sucrés. Le professeur Lynne Macaskie de l’Université de
Birmingham estime d’ailleurs que le système pourrait être développé
pour la production industrielle d’électricité et les procédés de
traitements des déchets.
En France, plusieurs équipes de recherche, notamment au
CNRS, travaillent sur des méthodes de production catalytique
d’hydrogène par gazéification directe de la biomasse (déchets de bois,
de paille, fane), dans un réacteur à lit fluidisé en présence de vapeur
d’eau ou via des intermédiaires liquides de type bio-huiles de pyrolyse
(co-processing).
Au niveau européen, le projet Hyvolution lancé en 2006 a
pour objectif de produire de l’hydrogène à partir de la biomasse dans
une usine expérimentale. L’hydrogène sera produit par des bactéries
capables de digérer la matière organique. Cette installation-pilote
sera développée à Wageningen (Pays-Bas), avec la contribution de 11
pays de l’UE. Ces différents projets sont très intéressants car ils
montrent à quel point le vecteur hydrogène ne doit pas se concevoir
comme une solution "fermée" mais n’a de sens qu’en association et en
synergie avec l’ensemble des énergies renouvelables, qu’il s’agisse de
l’éolien, du solaire ou de la biomasse.
Il faut également savoir que, demain, l’utilisation de la
pile à combustible ne se limitera pas à nos véhicules, elle s’étendra
également, comme l’ont bien compris les Japonais qui travaillent
activement sur ce champ de recherche, au chauffage domestique et à la
cogénération (production conjointe de chaleur et d’électricité). En
France, Paris a inauguré le 21 novembre 2006 Cellia, la première pile à
combustible destinée à la cogénération domestique.D’une
puissance de 180 kW thermiques et 230 kW électriques, Cellia permet de
couvrir, pour 283 logements de l’OPAC de Paris, près de 20 % des
besoins des occupants en chauffage et eau chaude sanitaire.
Dans 20 ans, nos immeubles de bureaux et nos habitations
seront conçus et réalisés comme de véritables systèmes énergétiques
intégrant et combinant de manière optimale, grâce à l’informatique,
l’ensemble des énergies renouvelables et propres, y compris
l’hydrogène. Chaque immeuble produira alors de manière propre et
décentralisée, la majeure partie, voire la totalité de l’énergie qu’il
consomme.
Au niveau supérieur, les centrales énergétiques du futur
combineront également l’hydrogène et les énergies renouvelables et
cette synergie vertueuse permettra de réduire considérablement notre
consommation d’énergies fossiles et de diminuer également très
sensiblement nos émissions de gaz à effet de serre, responsables du
réchauffement climatique. Mais pour parvenir à ce résultat en une
génération, nous devrons à la fois accomplir un effort de recherche
sans précédent et faire preuve d’une volonté politique sans faille.
René Trégouët
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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