Le regard d'un animal à grandes oreilles

Mes lapins, j'ai un frère chéri entre tous, c'est l'âne. Il partage avec moi un goût prononcé pour les longues oreilles, mais je ne saurais rivaliser avec la tendresse de son regard. Depuis Stevenson, nous savons tous que les yeux d'un âne ont la profondeur des vallées où la vie secrète des hommes fabrique des âmes pour un immédiat paradis. Oui, des âmes. Et allez dire après cela que les animaux en sont dépourvus ! Ce serait compter sans cette merveille que voici, le tableau que je chéris entre tous, Le repos pendant la fuite en Egypte du Caravage. Ce dernier est depuis longtemps mon peintre préféré et le tableau que voici est l'un de ses plus beaux, car il réalise la transition entre la première manière, aimable et raffinée, heureuse pour tout dire, et la seconde, celle du clair-obscur, où ce génie a révolutionné non seulement la peinture, mais encore le rapport au temps et au monde des idées hérité des temps néo-platoniciens. Avec le Caravage, l'instant étrangle l'éternité pour lui faire dire à l'échelle de nos passions ce qui est de nature transcendante en nous.
Ce tableau est sublime à plus d'un titre. Il y a certes une musique à y entendre - et on l'a retrouvée, et même enregistrée. Il y a ces visages d'Enfant Jésus et de Vierge endormis, comme jamais on ne les avait peints auparavant. Incarnés, sculptés dans la réalité de l'épuisement et de l'être-au-monde qui nous enseigne cette chose si simple : nous ne sommes pas des êtres de glaise promis à la Gloire Divine mais des Créatures Divines sommées de faire l'expérience de l'incarnation, de la matière, de l'ici-bas. Il a aussi, dans ce tableau, la beauté confondante de cet ange-hirondelle qui nous rappelle au passage la passion dévorante du peintre pour les jeunes garçons. Il y a, certes, le merveilleux visage de Joseph, qui OSE regarder l'ange dans les yeux, chose inattendue, incroyable dans toute l'histoire de la peinture.
Mais il y a surtout pour moi cet âne, ce regard d'âne entre le vieil homme et le musicien, le plus bouleversant regard animal de toute l'histoire de la peinture, l'un des plus profonds tout court, créatures animales et humaines confondues. Cet oeil à lui seul suffirait à faire du Caravage l'un des maîtres de la peinture universelle.
Observez cet oeil : il nous regarde, il nous appelle, il écoute. Il est notre conscience, il est le miroir de l'absolu. En lui se rejoignent nos aspirations amoureuses, notre insondable besoin de consolation, l'appel vers un Ciel peuplé d'anges et de bêtes, sans autre distinction que celle de la grâce.
On peut aimer ou non cette peinture, mais si on l'aime, on ne peut que l'aimer de passion, sans réserve. C'est mon cas. Elle est contemporaine de la musique parfaitement sublime de Monteverdi, de ces premiers temps du baroque où l'homme occidental a choisi de dire le sentiment, l'instant, la fragilité. Mais dans le souvenir permanent d'un idéal de beauté et d'amour qui est, selon moi, le seul idéal qui vaille.

A quelques jours de Noël, je dédie le regard bouleversant de cet âne à tous les bloggers.

Pour en lire davantage sur le regard de l'âne :

http://remue.net/spip.php?article2483


Et regardez bien cette merveille : perdez-vous, abandonnez-vous, contemplez, fondez-vous, c'est miraculeux...

Lapin, c'est un Rorchard? Je ne vois pas d'âne.

À moins que le tableau ne soit tronqué. Peux-tu me donner le titre de l'oeuvre et l'auteur, s'il te plait : je vais chercher sur le NET

J'ai vu.

Ils n'ont pas grand mérite à avoir reconstitué la musique : il suffit de lire la partiton

Tu es revenue, tu as vu, il te reste à vaincre, ma belle !

Bien moins mystique , l'oeil du chat, vu par Goya :

Le Rorschach paraît nécessaire.....

J'ai déjà vaincu ma bêtise : le titre et le nom du peintre sont dans ton premier post.

Trop beau

Sofi a écrit:

Le Rorschach paraît nécessaire.....

Et en plus j'avais vérifié l'orthographe avec Google, et j'ai recopié la mauvaise...

Concernant la partition, le tableau n'en donne qu'un fragment. Il a fallu dénicher le manuscrit en Italie, pour pouvoir l'enregistrer.

Tu l'as écoutée?

A titre de comparaison, le Poussin : beaucoup plus académique, anecdotique, on a envie de dire "touristique"...

C'est vrai que ça fait drôle, après....

Eh oui... La différence entre un décor et une exploration de l'âme... Le Caravage est à Poussin ce que Monteverdi est à Lully.

Musette # a écrit:

Tu l'as écoutée?

On la trouve sur le CD qui accompagne le livre de Philippe Beaussant, Passages, publié récemment, et qui a ranimé ma passion pour le Caravage. Lequel Philippe Beaussant vient d'être élu à l'Académie Française. Il remonte le niveau, croyez-moi.

Prière pour aller au paradis avec les ânes

Lorsqu'il faudra aller vers vous, Ô mon Dieu faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grand route
j'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreilles
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles...
Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête
doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds
d'une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles,
suivi de ceux qui portaient au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bosselés,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l'on met de petits pantalons,
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s'y groupent en ronds.
Mon Dieu, qu'avec ces ânes je vous vienne.
Faites que dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l'amour éternel

Francis Jammes

Merci Enomiss .

Un calvaire breton :

Lequel, Cara ?

L'âne d'Autun a lui-aussi un beau regard :

Enomiss a écrit:

Lequel, Cara ?

Kergrist-Moëlou. C'est dans les Côtes d'Armor, près de Rostrenen.

Merci, Cara !

J'aime bien aussi celui de Guimiliau :